Article de Frédéric Morvan
Agrégé d’histoire, docteur en histoire médiévale (sur les hommes d’armes du duché de Bretagne de 1213 à 1381)
Anne de Bretagne, une féodale ? La souveraine d’une principauté ?
Dans un récent entretien à France 3 Pays de Loire, l’historien moderniste, Alain Croix, mentionne qu’Anne de Bretagne (1477-1514) appartenait à la féodalité.
Qu’en est-il vraiment ?
La féodalité a reposé sur le système de la vassalité conjuguée au fief (le plus souvent l’obtention d’une terre). Le plus souvent, on pense que la féodalité est liée au Moyen Age, c’est oublier facilement qu’elle a perduré en France jusqu’à la Révolution. Ce que l’on ne sait que trop peu est que le duché de Bretagne relevait du duché de Normandie depuis le Xe siècle, mais comme ce dernier fut conquis, avec l’aide des Bretons, au tout début du XIIIe siècle, par le roi Philippe Auguste de France, les ducs de Bretagne devaient prêter hommage aux rois de France. Cet hommage était une formalité ; les rois de France et ducs de Bretagne étant très proches parents. Dans la première moitié du XVe siècle, cela se passait toujours bien, les administratifs (la Chancellerie) royaux de France exigeaient l’hommage lige au duc de Bretagne, qui refusait cette soumission (il fallait se mettre à genoux) et cela finissait par l’intervention du roi de France, impatient d’aller à son banquet, qui remettait cela à un autre jour. Et puis le roi avait si besoin des troupes bretonnes pour combattre les Anglais. Nous étions alors en pleine guerre de Cent ans.
Avec le roi Louis XI et sa fille, la régente Anne de Beaujeu, les choses changèrent. Ils affirmèrent leur autorité de monarques féodaux en exigeant l’hommage des ducs de Bretagne, usant très souvent de la force pour l’obtenir. François II, battu, dut obtempérer. Par ailleurs, Anne de Bretagne vit son mariage avec Maximilien d’Autriche annulé sous prétexte qu’elle n’avait pas eu l’autorisation de son seigneur supérieur, le roi de France. Ce rappel à l’ordre féodal s’explique aisément par le contexte. La monarchie féodale de France se trouvait particulièrement menacée par les progrès de ce que l’on nomme les principautés : la Bourgogne (en fait de la Hollande à la Franche-Comté) à l’Est (dont le régent fut Maximilien d’Autriche) ; au sud-ouest, Foix-Navarre (appartenant à la famille maternelle d’Anne) ; au sud-est, la Provence et bien sûr à l’ouest, la Bretagne.
Les ducs de Bretagne, les souverains d’une principauté
En Bretagne, dans la seconde moitié du XVe siècle, les ducs de Bretagne, ce fut bien sûr le cas d’Anne de Bretagne, se faisaient couronner en la cathédrale de Rennes par l’évêque de Rennes et se titraient ducs par la grâce de Dieu. A la mort de son première époux, Charles VIII, alors veuve, Anne de Bretagne reprit son titre de duchesse de Bretagne par la grâce de Dieu. Cette évolution était appuyée par un nouveau personnel peuplant l’administration, la justice, les finances et l’armée bretonne dont l’organisation était de plus en plus efficace comme le montre les documents d’archives. Par ailleurs, ces principautés étaient souvent riches et ouvertes sur le monde. Le mariage de la mère d’Anne, Marguerite de Foix-Navarre, avec son père, François II, ne doit rien au hasard. Sa mère était une très proche cousine des très riches rois de Portugal, de Castille et d’Aragon, en passe de dominer la Méditerranée et de faire la conquête du Monde. Il ne faut pas oublier qu’Anne était vivante lorsqu’elle apprit que Christophe Colomb envoyé par sa cousine Isabelle la Catholique de Castille avait découvert l’Amérique.
Ces principautés ne faisaient guère confiance en la féodalité, pour elles pas assez efficace et surtout pour ses plus riches membres bien trop proches des rois de France qui les pensionnaient, sans compter leurs immenses biens qu’ils disposaient dans le royaume de France. Leurs princes, dont François II et Anne, peuvent être considérés comme des souverains car ils préféraient s’adresser à leurs sujets qu’à leurs vassaux.
Anne, la dernière duchesse souveraine de Bretagne
Lorsqu’Anne comprit que son second époux, Louis XII, refusait le mariage de leur fille Claude avec Charles d’Autriche (cousin d’Anne), ce qui permettait à la Bretagne de rester ouverte sur le monde, Charles étant l’héritier du plus grand empire commercial du monde, elle partit en Bretagne dans son duché, pour y faire le « tour », ce que l’on nomme en breton le Tro Breizh. Son but était bien sûr politique. Elle voulait démontrer ainsi à son royal époux qu’elle avait le soutien de ses sujets. Si elle avait été une simple princesse féodale, elle aurait, et c’était son droit, convoqué ses vassaux immédiats (c’était tout ce qu’elle avait droit de faire) en un lieu, comme le fit son ancêtre, Jean II en 1294, à Ploërmel, alors considérée comme une sorte de « capitale du duché ». Mais elle ne le fit pas car elle savait que ces vassaux n’allaient pas venir avec leurs propres vassaux, d’autant plus qu’un certain nombre demeurait à la cour de France ou tout simplement n’appréciaient pas le comportement justement guère féodal de la duchesse-reine. En effet, elle s’adressait directement à leurs propres vassaux, passant au dessus de leurs têtes, considérant tous les Bretons comme ses sujets.
Merci pour cet article qui remet les choses en juste perspective. Alain Croix et les autres Georges Minois sur ArMen poursuivent leur entreprise de démolition. C’est tout à fait hallucinant.
grand merci à Frédéric Morvan de son expression d’historien , son exposé nous conforte dans notre approche – et engagement – et nous offre les indications nécessaires à contrebalancer ces permanents intervenants « institutionnels » , les voix de leur maître ?