Article de Philippe Argouarc’h
Nantes—En second mariage, le duc François II de Bretagne avait épousé Marguerite de Foix, fille du comte de Foix-Bearn et du roi de Navarre et petite fille du Roi d’Aragon. Le 25 janvier 1477 naîtra leur première fille, Anne. Anne aura une soeur, Isabelle (ou Isabeau), née en 1478 et décédée en 1490 et deux demi-frères François et Antoine (qu’on appelle à l’époque des bâtards). Tous les enfants étant élevés sous le même toit.
Anne grandit dans la Tour Neuve du château des ducs à Nantes. Son éducation fut confiée à Françoise de Dinan, fort savante et versée dans les lettres et les arts. Anne apprendra le français, le breton, le latin et le grec et même un peu d’hébreu. Elle chante, danse, joue de la musique, peint et brode. Ses contemporains la décrivent comme une enfant à l’esprit net, au sens droit, une princesse accomplie, à l’intelligence ouverte, très généreuse sans oublier ni les injustices, ni les offenses.
Au physique, petite, légèrement boiteuse, ce n’était pas une beauté mais elle avait beaucoup de charme. Un air de noblesse, de bonté et de décision se dégageait de sa personne.
Son enfance eut été des plus heureuses si le duché de Bretagne n’avait été menacé en permanence par l’état voisin : le royaume de France et son roi, le fourbe et cruel Louis XI, aux exactions innombrables. Louis XI est obsédé par une seule chose, l’agrandissement de son royaume et le renforcement du pouvoir central et ceci par tous les moyens possibles y compris les plus machiavéliques.
Pour protéger le duché et son héritière, François II signe un traité d’alliance avec Edouard IV d’Angleterre qui s’engage à marier son fils, le prince de Galles, avec Anne quand ils seront d’âge. Malheureusement, Edouard V sera assassiné en 1483. Il y’a aussi des tentatives de fiançailles avec le Gallois Henry Tudor, le futur Henry VII d’Angleterre, alors résidant en exil en Bretagne et familier de la cour ducale. Ca tourne mal aussi puisque François II, pressé financièrement, trahit Henry, tentant de le livrer à son rival Richard III. Anne ne sera pas reine d’Angleterre.
Louis XI est mort en août 1483. Il aurait dit sur son lit de mort à sa fille Anne de Beaujeu qui deviendra la régente : « Il vous faudra régler le sort de la Bretagne ». Tout un programme qu’elle mènera d’ailleurs presque à terme avec le succès que l’on sait. Grâce à une forte armée de mercenaires suisses et une artillerie excellente, l’armée royale, commandée par le jeune et talentueux lieutenant-général poitevin La Trémoille, infligera à l’armée ducale une sanglante défaite à Saint-Aubin du Cormier le 28 juillet 1488. Plusieurs milliers de prisonniers furent passés au fil de l’épée y compris et tout d’abord des centaines d’archers anglais que le roi d’Angleterre avait envoyés au secours du Duc, son allié par traité.
Acculé, François II doit signer le traité du Verger, le 19 août 1488. Il promet par ce traité que sa fille et héritière Anne ne se marierait pas sans le consentement du roi de France. Désespéré, le duc meurt en son manoir de Cazoire à Couëron le 9 septembre suivant.
La guerre reprend et la Bretagne est occupée par l’armée du roi de France. Malgré son jeune âge, Anne comprend qu’elle doit se marier pour échapper au tyran français. Parmi les sept prétendants possibles, ses conseillers choisissent Maximilien, duc d’Autriche et héritier du Saint-Empire.
Entre temps, Anne aura été couronnée duchesse de Bretagne en février 1489 à Rennes, comme le veut la tradition. Et c’est le 19 décembre 1490 qu’Anne épouse Maximilien à Rennes lors d’une cérémonie pour laquelle le duc d’Autriche s’est fait représenter par Wolfgang de Polham, suivie d’une messe dans la cathédrale célébrée par Mgr Michel Guilbé.
En octobre 1491, l’armée royale, au nom du nouveau roi de France, Charles VIII, met le siège devant Rennes. Rennes résiste. Le roi y vient en personne et propose à Anne de l’épouser. Les conseillers de la duchesse la pressent d’accepter pour le bien de son peuple, ce qu’elle fera finalement. Le mariage avec Maximilien étant déclaré nul par le pape lui-même, car non consommé, le mariage avec Charles VIII de France, ce bravache fauteur de guerre qui mit l’Italie à feu et à sang, aura lieu à Langeais loin de la Bretagne et dans un quasi secret, le 6 décembre 1491. Entouré d’un fort parfum de rapt, le pape Alexandre VI, n’accordera sa dispense qu’après une déclaration solennelle d’Anne affirmant qu’elle n’avait été l’objet d’aucune violence. A noter cependant qu’elle dut se montrer nue devant les ducs d’Orléans (le futur Louis XII qui sera son deuxième époux), le duc de Bourbon, madame de Bourbon, et monseigneur d’Aurigny, on veut s’assurer qu’elle n’a pas de déformités cachées et qu’elle pourra être une bonne génitrice d’enfants royaux y compris un futur roi de France. On lui demande aussi de marcher pour vérifier sa légère boiterie. Anne, encore adolescente, elle n’a pas encore 15 ans, est humiliée.
Anne, s’installe à la cour de France qui est sans doute pour elle, tellement attachée à sa Bretagne, une prison. Son premier fils, Charles-Orland, né le 11 octobre 1492, alors qu’elle avait seulement 15 ans, meurt de la rougeole en décembre 1495. Il était âgé de 3 ans. Il avait été séparé de sa mère très tôt, soi-disant pour le protéger des maladies infectieuses alors courantes à la cour. Anne fut très affligée par la séparation, puis ce décès. Elle aura trois autres enfants de ce premier mariage : Charles, François et Anne, qui meurent tous peu de temps après leur naissance en 1496, 1497, 1498.
Et cette même année 1498, le sort la débarrasse de Charles VIII qui se tue dans un banal accident en se cognant la tête contre une poutre un peu trop basse.
Anne profite de sa liberté retrouvée pour rétablir les droits de son duché. La chancellerie (le gouvernement du duché) est rétablie seulement deux jours après le décès du roi. Elle obtient du nouveau roi Louis XII, qui avait combattu aux côtés des troupes bretonnes à Saint-Aubin du Cormier, le retrait des troupes d’occupation françaises en Bretagne. A noter aussi que Louis XII était le cousin germain de Francois II de Bretagne et que si les deux veulent se marier, le pape lui-même doit approuver un mariage consanguin.
Louis XII doit aussi répudier son épouse Jeanne de France, une femme disgraciée que son père Louis XI avait forcé le duc à épouser. Sur la base de non consommation du mariage, le pape, très conciliant envers les rois de France, donnera son accord aussi pour le divorce. Ces formalités accomplies, le nouveau roi pourra épouser Anne, rentrée en Bretagne dès août 1498. C’est là que Louis viendra la rejoindre pour l’épouser le 9 janvier 1499 dans la chapelle du château des ducs de Bretagne à Nantes.
En octobre 1499 naîtra une première fille, Claude, puis en janvier 1503 un fils qui meurt à sa naissance, puis en octobre 1510 c’est la naissance de Renée qui deviendra duchesse d’Este mais à qui aurait du revenir le duché de Bretagne (elle intentera d’ailleurs un procès à la France en plus de chosir la confession protestante). Claude héritera du titre de duchesse de Bretagne, titre qui lui fut confisqué par son mari, Francois Ier.
En 1505, Anne était revenue en Bretagne pour un grand Tro Breizh. C’est durant ce voyage qu’elle vint à Brest admirer le navire dont elle avait ordonné la construction en 1496, La Cordelière, le plus grand navire de l’époque, qui devait, sous les ordres de Hervé de Portzmoguer, affronter le vaisseau anglais Le Régent au large de Brest en 1513 et connaître une fin tragique.
Mais si elle n’oublia jamais sa Bretagne, Anne fut une admirable reine de France. Pendant que ses deux époux successifs guerroyaient en Italie, elle encourageait les lettres et les arts. Elle aurait essayé de les décourager de ces aventures militaires en Italie, leur parlant plutôt de croisade pour reprendre Jérusalem, mettant la marine bretonne à leur service. Elle correspondait aussi avec Ferdinand d’Aragon, son cousin (sa grand-mère est la fille de Jean II, roi d’Aragon, le père de Ferdinand d’Aragon) discutant des voyages de Christophe Colomb et de la découverte de l’Amérique.
À côté d’auteurs et d’artistes français et italiens, elle soutint Pierre le Baud, le premier grand historien du duché et aussi Jean Meschinot qui avait été au service de ses prédécesseurs les ducs de Bretagne depuis Jean V. Parmi les nombreux artistes qu’elle encouragea et soutint, il y avait Michel Coulm, dit Michel Colombe originaire du Léon et qui devait sculpter la statuaire du tombeau de François II et de son épouse, aujourd’hui dans la cathédrale de Nantes.
Mais cette trop courte vie, si bien remplie, devait s’achever le 9 janvier 1514 au château de Blois.
Elle fut inhumée dans la basilique de Saint-Denis le 16 février suivant et, sur sa demande expresse, son cur fut placé dans un reliquaire en or qui fut conservé au couvent des Carmes de Nantes où se trouvaient les mausolées des ducs et duchesse de Bretagne. Ce reliquaire, hélas vide, car profané pendant la Révolution, se trouve aujourd’hui au musée Dobrée de Nantes qui l’a prêté au musée du château des ducs de Bretagne.
Avec ce décès, la Bretagne qui avait tant aimé sa duchesse, perdait celle qui l’avait aussi tellement aimée et qui fut le dernier rempart des libertés bretonnes.